“Accélérons ensemble. L’an dernier, il y a eu une trentaine d’ingénieurs diplômés par l’État. Je crois que nous pouvons faire beaucoup mieux”. Lionel Torres, directeur de Polytech Montpellier, a accueilli le 20 octobre 2023 le congrès de l’Association des IDPE. Pour Méhand Guiddir, son président, ce dispositif diplômant des personnes ayant exercé des fonctions d’ingénieur, est une solution au manque d’ingénieurs expérimentés dans l’industrie. Il vise les 100 diplômés annuels : “c’est du plug and work. Quelle que soit la situation, ils vont faire avancer un projet”.
Méhand Guiddir, président de l’association des ingénieurs diplômés par l’Etat, IDPE, lors du congrès annuel de l’association le 20 octobre 2023 à Polytech, composante de l’université de Montpellier. AEF – Sabrina Ranvier
Comment compenser le manque d’ingénieurs expérimentés dans l’industrie ? Est-ce que le dispositif d’ “ingénieur diplômé par l’État” (IDPE) peut être une réponse aux besoins d’une France qui se réindustrialise ? C’est le thème du congrès organisé le 20 octobre 2023 à Polytech Montpellier par l’Association des ingénieurs diplômés par l’État.
Dans une intervention à distance, Anne-Sophie Barthez, Dgesip, souligne que le choix de cette thématique est “judicieux” : “Ce besoin de réindustrialisation de la France, ce manque d’ingénieurs dont la France a besoin, fait écho à ce qui se passait il y a près d’un siècle, quand, en 1934, ce dispositif d’ingénieur diplômé par l’État est apparu, là aussi pour reconstruire la France”.
Pour devenir IDPE, il n’y a pas de condition de diplômes : il faut justifier d’au moins 5 ans d’expérience dans des fonctions communément confiées à des ingénieurs, et il faut aussi avoir de solides connaissances scientifiques et techniques. “C’est un ascenseur social qui permet aux ingénieurs maison de devenir ingénieurs diplômés”, résume Méhand Guiddir, président de l’association IDPE. Son objectif : atteindre les 80 à 100 diplômés par an d’ici 5 ans, et les 150 à 200 d’ici 10 ans.
“C’est un dispositif fabuleux qui mérite d’être mieux connu au niveau des entreprises”, confirme Lionel Torres, directeur de Polytech Montpellier et président du jury national des IDPE. L’an dernier, il y a eu une trentaine de diplômés. Je crois que nous pouvons faire beaucoup mieux. Il faut accélérer. Accélérons ensemble.”
Depuis 1934, 4 200 personnes sont devenues IDPE. Les candidats peuvent se tourner vers l’une des 40 écoles d’ingénieurs françaises accréditées. Elles analysent la recevabilité du dossier, puis les candidats passent une épreuve dite d’évaluation. Ils sont ensuite accompagnés pour rédiger un mémoire qui sera évalué par un jury national. Le processus dure en moyenne 18 mois. Deux candidats sur trois réussissent. Agroalimentaire, BTP, informatique… Les candidats choisissent parmi 22 spécialités. “On peut postuler même sans avoir le bac. Mais le niveau moyen est bac +2 à bac +3”, souligne Méhand Guiddir. “La moyenne d’âge est d’environ 40 ans. Il y a entre 18 et 20 % de femmes IDPE.”
“Généralement, ceux qui postulent pour devenir IDPE le font pour avoir une promotion interne : salaire, nouveau poste à responsabilités”, analyse Méhand Guiddir. “Ou alors ils s’en servent de tremplin pour un autre job. Dans les sociétés de conseil, on les recherche beaucoup.” 15 % continuent vers le doctorat. “Nous avons même eu des IDPE qui sont devenus énarques, qui sont entrés à CentraleSupélec”, met-il en avant. D’autres créent leur entreprise.
“Ce diplôme est très utile pour les entreprises”, souligne-t-il. C’est du “plug and work“. L’avantage de ces ingénieurs est que si on les met en poste, quelle que soit la situation, ils vont pouvoir faire avancer le projet et innover, à la différence des jeunes ingénieurs qui, à ma connaissance, n’ont pas de vision de la productivité et de l’employabilité, qui s’acquiert avec l’âge.”
Méhand Guiddir est devenu IDPE en 2004. Ils étaient 137 diplômés cette année-là. “Cela a baissé depuis car, à un moment donné, la VAE est montée au créneau”, observe-t-il. Pour lui les deux dispositifs sont totalement différents. Le candidat IDPE n’a pas besoin de suivre des cours supplémentaires. Lorsqu’une personne postule pour une VAE, si son dossier est recevable, la notification qui lui sera adressée peut comporter des recommandations pour suivre des formations complémentaires. Le coût pour devenir IDPE est de 610 €. Selon travail-emploi.gouv.fr, l’accompagnement de la VAE peut aller jusqu’à 3 000 euros.
Méhand Guiddir annonce que les fiches des spécialités IDPE devraient entrer dans les prochaines semaines au RNCP. “C’est une nécessité pour pouvoir le faire reconnaître auprès des entreprises”, indique Lionel Torres. Pour augmenter le nombre d’IDPE, il considère qu’il faut agir collectivement : “On le fera tous ensemble. On le fera avec les écoles, on le fera bien entendu avec le ministère, et pourquoi pas le ministère du Travail un jour, puisque cela peut entrer dans le cadre de la formation professionnelle.”
Les IDPE ont des soutiens. Le 20 octobre, Anne-Sophie Barthez a rappelé que le MESR “œuvre toujours aux côtés de ce magnifique dispositif”. “Nous soutenons totalement cette promotion du diplôme d’ingénieur par cette voie”, a également assuré Emmanuel Duflos, président de la Cdefi, lors d’une intervention à distance. Il considère que ce dispositif est “très inspirant” et “gagnerait à être beaucoup mieux mis en valeur”, en le plaçant dans les dispositifs de formation tout au long de la vie, pour “pouvoir lui donner toute la place qu’il a dans les réponses non seulement aux besoins industriels, mais aussi aux besoins de promotion sociale.”
“J’ai été accompagné avec toute une bienveillance que je n’attendais pas”, témoigne Matthieu Berthet, en recevant, le 20 octobre, le prix de l’association des IDPE. Il est le premier pilote de ligne IDPE. Il y a 10 ans, alors qu’il travaille pour une compagnie aérienne, il propose de numériser les 50 kg de documentation que les pilotes transportent sur chaque vol. Même s’il n’a pas de diplôme d’ingénieur, il participe à la conception de la “sacoche de vol électronique”.
Mars 2020, les avions sont à l’arrêt. Mathieu Berthet réussit les tests de recrutement chez un équipementier. La DRH lui présente un contrat de travail et demande son diplôme d’ingénieur. “Elle m’a dit : ‘Le job était pour vous, mais comme vous n’avez pas de diplôme…'” Matthieu Berthet apprend que l’association IDPE a mis en place en 2021, le programme Horizon avec l’Association des professionnels navigants de l’aviation, le Cnam et l’Apec. Il devient IDPE en rédigeant un mémoire sur la sacoche de vol électronique. “Quand je l’ai eu, je me suis dit, je vais écrire à l’équipementier”, raconte celui qui est actuellement pilote d’Airbus. “Je n’ai pas eu à le faire. Ils m’ont rappelé avant.”
Source : AEF Info